Ecouter des femmes victimes, animer la vie d’une maisonnée de douze personnes, recruter de nouveaux bénévoles et coordonner leurs activités, participer à un atelier mosaïque, se battre pour l’obtention d’une carte d’Aide Médicale d’Etat ou d’un titre de séjour. Si aujourd’hui, une journée de Laurence Roy se décline autour de ces tâches variées, elles sont surtout très éloignées de celles qu’elle réalisait à l’IRSN jusqu’à l’été 2021. Ingénieure énergétique et titulaire d’une thèse en radiobiologie, Laurence occupait alors la fonction d’adjointe du chef du service de recherche sur les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants (SESANE) à la direction de la santé… Depuis cette date, elle dirige avec son mari Alexis un lieu s’inspiration chrétienne, un lieu d’accueil, de vie et de réinsertion : la Maison Magdalena. Là y sont accueillies des femmes en situation de précarité, pour certaines rescapées de la prostitution. Ce grand changement professionnel, elle l’a effectué en duo avec son mari qui lui aussi a quitté son emploi dans les ressources humaines.
Le cadre de travail et de vie de l’ingénieure se situe désormais vers la forêt de Fontainebleau, à la campagne. Il comporte plusieurs corps de ferme et une belle maison où logent les personnes accueillies. Le couple y vit dans un deux pièces et il retourne dans la maison familiale un week-end sur deux. Une maison qu’il conserve pour pouvoir se retrouver en famille avec leurs enfants.
La complexité de l’humain
L’emploi du temps de Laurence est dense et dépasse largement les horaires d’un travail salarié. Outre le recrutement et la coordination des bénévoles – impliqués dans les ateliers de céramique, de fabrication de cierge… –, elle suit les accueillies dans leurs démarches administratives, les rendez-vous médicaux, leur recherche d’emploi. Elle réalise aussi la newsletter et aide son conjoint dans la recherche de fonds. Ce qu’elle apprécie dans sa nouvelle activité ? Elle découvre qu’elle aime tout ce qui touche aux travaux manuels comme la mosaïque et le jardin, être à la campagne, travailler avec son mari, découvrir la richesse et la complexité de l’humain et aussi la sienne. "Surtout, j’apprécie ces coups de chance incroyables comme par exemple en ce début d’année : à la suite d’un appel lancé auprès de nos contacts, trois femmes accueillies décrochent un poste de travail", confie-t-elle.
Donner
Pourquoi prendre une nouvelle route à 51 ans ? "Les enfants étaient grands, nous n’avions pas besoin d’autant de revenus", explique Laurence. Elle évoque aussi sa recherche de sens, son souhait d’une plus grande place du spirituel dans sa vie. "Nous avons beaucoup reçu. Nous avons envie de donner à des hommes et des femmes qui ont eu moins de chance que nous".
Bien sûr, le salaire n’est pas le même. "Nous sommes logés et nourris et nous gagnons chacun un demi-smic", poursuit l’ingénieure qui glisse avec une pointe de malice que le comité d’administration leur a récemment accordé une augmentation.
Durant mes congés
Comment Laurence a-t-elle emprunté ce nouveau chemin ? Y-a-t-il eu un déclic, une rencontre marquante ? Ce fut plutôt un cheminement. Bien sûr, son engagement pour le collectif ne date pas d’hier. Déjà, dans le passé, elle s’implique dans le scoutisme, la visite de personnes isolées… Il y a tout d’abord une conférence animée par les fondateurs des villages Saint-Joseph qui la marque, tout comme son mari. Puis, à la suite d’un accompagnement spirituel en 2019, ils savent qu’une fois les enfants grands, ils feraient autre chose de leur vie professionnelle. Mais comment ? Et dans quelle direction chercher ? "J’étais heureuse à l’Institut. Je faisais un métier qui me plaisait", confie l’ingénieure. Mais elle sent grandir en elle une oscillation, assez désagréable. "Cela s’est fait progressivement au cours de l’année 2019", poursuit-elle. "J’ai contacté les Villages Saint-Joseph pour faire un séjour dans un de leurs lieux de vie. Nous avons fait un remplacement durant nos congés." Pour le couple, il s’agit de savoir si cela leur plait, de se former et d’écouter comment les autres les perçoivent dans le rôle de responsable de maisonnée. En 2021, ils arrivent à la Maison Magdalena.
Et si c’était à refaire ? Elle prendrait cette nouvelle route. Sans hésitation.
Pour en savoir plus : https://www.maisonmagdalena77.fr/index.html
Contact : Laurence et Alexis Roy : contact@maisonmagdalena77.fr
Article publié en juillet 2024
Je suis Maxence Lorencki et j’ai travaillé à l’IRSN de novembre 2009 à novembre 2020, d’abord dans l’expertise de la sûreté de installations en charge de la gestion des déchets, puis au sein du bureau en charge de l’expertise des filières de gestion des déchets. J’ai quitté l’IRSN il y a 3 ans maintenant pour me consacrer à la mise en place d’une conserverie de fruits et légumes bio, artisanale et locale, dans l’Yonne : la « Conserverie Jovinienne ». Au moins 70% des fruits et légumes que nous utilisons poussent à moins de 70 km de notre atelier et l’ensemble de nos machines utilisent de l’énergie renouvelable (biogaz et électricité renouvelable). Nous consignons également une partie de nos bocaux.
J’ai changé de voie car j’avais besoin de confronter mes aspirations écologiques à une réalité objective. Je voulais réaliser un projet écologique qui réponde à mes envies d’agir en phase avec toutes les lectures et toutes les conversations que je pouvais avoir. La mise en place d’une conserverie m’est vite apparue comme un bon moyen de remplir cette volonté, offrant de nouveaux débouchés économiques aux maraîchers locaux et proposant une voie de valorisation des invendus (issus de surproduction ou de production hors calibre). Plus d’un tiers des ressources que nous valorisons aurait sinon été destiné au compost. Nous voulons de plus dans un deuxième temps devenir totalement autosuffisants en énergie et proposer des bocaux « zéro carbone », à base de fruits et légumes locaux, mais aussi d’énergie locale (comme de la biomasse issue de la forêt d’à côté).
Le déclic qui m’a animé a été le retour d’instructions que j’avais vues en arrivant à l’IRSN, dix ans plus tôt. Je m’amusais bien, mais je me suis soudain vu dix ans plus tard, à recommencer encore et toujours les mêmes expertises, et je me suis dit que je ne pouvais pas rester derrière mon écran pendant toute une vie, sans essayer de faire bouger les choses.
Pour réaliser mon projet, j’ai démissionné de l’IRSN, et ai monté mon projet avec mon associé lui aussi en reconversion (il était ingénieur de recherche au CNAM). Nous avons été accompagnés par un incubateur spécialisé dans l’économie sociale et solidaire (dont relève ma structure). Ça a un peu été un parcours du combattant, mais monter son projet est quelque chose de très satisfaisant intellectuellement. Il a fallu définir le modèle économique, monter l’atelier, trouver les recettes, les fournisseurs et les débouchés, et enfin chercher de l’argent.
Aujourd’hui, je fabrique et vends des bocaux de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique. Nous avons produit presque 100000 bocaux depuis le début, que nous revendons à travers un réseau de boutiques, implantées notamment dans l’Yonne comme des épiceries fines, des Biocoops, ou sur les marchés… Je suis passé dans le journal, à la radio, à la télé, j'ai fait le salon de l’agriculture, ai rencontré des tas de gens que je n’aurais jamais côtoyés sinon. Les maraîchers locaux nous ont accueillis avec enthousiasme, car c’est un équipement qui faisait drastiquement défaut dans le coin. Nous transformons également pour le compte de tiers et avons pour ambition de proposer des légumineuses à la restauration collective de l’Ile-de-France, afin que les enfants puissent manger des légumineuses bio et locales dans les cantines scolaires par exemple. Nous développons également un volet social en travaillant avec la Croix-Rouge locale, qui vient transformer une partie des dons (par exemple des pommes glanées transformées en compote à destination des bénéficiaires) ou les épiceries solidaires (qui transforment leurs invendus). C’est assez prenant et moins confortable financièrement que mon ancien boulot, mais j’ai l’impression de faire quelque chose de réellement utile pour la transition écologique.
Pour en savoir plus : La Jovinienne - Conserverie bio et locale
Article publié en avril 2024